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9/20/2014

Messali Hadj, père oublié du nationalisme algérien












Dans l’histoire du nationalisme algérien, un point d’interrogation demeure : comment et pourquoi le père fondateur, Ahmed Mesli, dit Messali Hadj, a-t-il pu être désavoué, puis combattu, par ses fils spirituels, alors même qu’il avait été le premier à poser comme objectif non plus un aménagement du système colonial, mais la lutte pour l’indépendance ?

Si les noms de Habib Bourguiba en Tunisie et de Mohammed Ben Youssef — ou Mohammed V — au Maroc sont liés, dans la mémoire collective, à la lutte victorieuse pour l’indépendance, celui de Messali Hadj fait toujours l’objet, en Algérie, d’une occultation qui s’est à peine atténuée depuis une ou deux décennies.
L’Etoile nord-africaine (ENA) naquit au printemps 1926, à l’initiative des milieux communistes français, très attentifs alors à l’organisation des « travailleurs coloniaux » en métropole. Au sein de la commission coloniale du Parti communiste français (PCF), le principal responsable était Abdelkader Hadj Ali ; il fut secondé par des militants plus jeunes, dont Messali Hadj (1). En février 1927, à Bruxelles, lors du congrès de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale, le jeune Messali — il est né à Tlemcen en 1898 — est chargé de présenter le programme de l’Etoile. Pour la première fois, du haut d’une tribune internationale, un orateur exige l’indépendance de la colonie algérienne et des protectorats tunisien et marocain : « L’indépendance de l’un de ces trois pays n’a de chances d’aboutir que dans la mesure où le mouvement libérateur de ce pays sera soutenu par les deux autres (2). »
L’Etoile connaît un succès grandissant, essentiellement au sein de l’immigration algérienne en métropole. Mais les relations entre communistes et étoilistes se distendent dès la fin de la décennie 1920. Messali Hadj et les autres dirigeants sont soucieux de ne pas s’engager dans un face-à-face avec le PCF. Ce dernier ne comprend les relations avec les mouvements nationalistes qu’en fonction de sa seule stratégie, laquelle devient — à partir du Front populaire — plus hexagonale qu’internationaliste. Jusqu’alors, chacun avait utilisé l’autre à ses propres fins.
L’avènement du Front populaire révèle le malentendu. Des divergences apparaissent sur les objectifs visés. En matière coloniale, la gauche française s’en tient à un prudent réformisme : même le timide plan Blum-Viollette — élaboré en 1936 par Léon Blum avec l’ancien gouverneur d’Algérie Maurice Viollette —, qui visait à permettre à vingt-cinq ou trente mille Algériens d’acquérir la citoyenneté sans renoncer à leur statut personnel musulman, ne sera jamais présenté au Parlement. Le PCF conçoit en 1939 le schéma, qui devait se révéler si inadéquat, de la « nation en formation », fondée sur un mélange des populations européennes et arabo-berbères. Le langage des étoilistes, lui, ne change pas : le peuple algérien doit compter avant tout sur ses propres forces. « Mes frères, il ne faut pas dormir sur vos deux oreilles maintenant et croire que toute l’action est terminée, car elle ne fait que commencer », avertit Messali Hadj.
S’enclenche alors une campagne sourde, puis ouverte, contre les étoilistes. Le 26 janvier 1937, en vertu des lois contre les ligues factieuses, le gouvernement Blum dissout l’Etoile. Robert Deloche, chargé de la question algérienne au PCF, soutient cette mesure dans L’Humanité du 12 février ; le divorce est consommé.
Messali Hadj et les siens fondent le Parti du peuple algérien (PPA), qui, à la différence de l’ENA, s’implante également en Algérie. Cela vaudra à Messali Hadj une accusation de « reconstitution de ligue dissoute » et une arrestation, le 27 août 1937. Commence alors, après un procès dans la pure tradition coloniale, une nouvelle vie pour le fondateur du PPA. Sur trente-sept années — entre 1937 et sa mort —, il en passera vingt-deux soit en prison, soit en résidence surveillée, selon le bon vouloir de quatre régimes : la IIIe République finissante, l’Etat vichyste, puis enfin les IVe et Ve Républiques.
Durant la seconde guerre mondiale, il refuse toutes les avances faites par l’Allemagne nazie aux nationalistes des pays colonisés, ce qui accroît son autorité morale. Puis survient, avec la chute du nazisme, cette terrible coïncidence des dates : le drame du 8 mai 1945 dans le Constantinois, lorsqu’une manifestation pour l’indépendance, à l’occasion de la victoire des Alliés, est violemment réprimée (3). Le massacre — plusieurs milliers de morts — a des répercussions au sein du mouvement nationaliste algérien. Pour les militants de la jeune génération, la guerre d’Algérie commence de fait à ce moment, et la préparation à la lutte armée s’impose. Messali Hadj — qui ne vit plus en Algérie — en reste au schéma classique de la conscientisation progressive du peuple. Pour lui, les appels à l’insurrection sont des « fanfaronnades », du « gauchisme stupide » (4).
Ces dissensions mèneront à la rupture de 1954. Le mouvement nationaliste algérien se déchire. L’autorité de Messali Hadj, fondateur et président du PPA — qui devient le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, MTLD, après la dissolution par les autorités françaises du PPA en 1946 —, est remise en cause. Une fracture apparaît entre messalistes et centralistes (ainsi nommés parce que majoritaires au comité central).
Un petit noyau autonome, issu de l’Organisation spéciale (OS, structure clandestine destinée à préparer une future lutte armée), va griller la politesse aux uns et aux autres et imposer la préparation concrète d’une insurrection armée. L’idée est énoncée le 23 mars 1954, jour de naissance du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA). Auparavant, en février, Messali Hadj avait été approché par Moustapha Ben Boulaïd, l’un des neuf fondateurs du CRUA, et avait repoussé avec mépris les plans de ces « amateurs ». On sait aujourd’hui que lui-même envisageait pourtant — mais avec quelle conviction ? — une insurrection autour du 15 novembre 1954.
Une course de vitesse s’engage donc entre deux factions pourtant mues par le même idéal et dotées de stratégies très proches, mais en désaccord sur le calendrier. Sans doute n’y avait-il là rien d’insurmontable ; mais deux facteurs vont troubler le jeu. En France, le ministre de l’intérieur François Mitterrand, apparemment bien informé, décide en septembre de transférer Messali Hadj dans une nouvelle résidence surveillée, aux Sables-d’Olonne, ce qui renforce son isolement. En Egypte, où le CRUA a installé sa base arrière, Gamal Abdel Nasser, qui s’est emparé du pouvoir le 23 juillet 1952, pousse à l’éviction de Messali Hadj, considéré comme moins malléable que les jeunes nationalistes, dont Ahmed Ben Bella — qui deviendra en 1962 le premier président de l’Algérie indépendante.
L’insurrection éclate le 1er novembre 1954. Un nouveau nom marque la rupture avec le passé : Front de libération nationale (FLN). Messali Hadj, lui, fonde un parti qui apparaîtra vite comme le concurrent du FLN : le Mouvement national algérien (MNA). Commence alors l’un des épisodes les plus douloureux de cette guerre. En quelques mois, à partir de 1956, la confrontation entre nationalistes prend un tour d’une violence inouïe. Selon toutes les études historiques, c’est le FLN qui cause les premiers affrontements, afin de conquérir une suprématie détenue depuis des décennies par le messalisme. En Algérie, il détruit les bases supposées du MNA, comme ce village de Melouza où trois cent quinze personnes sont tuées en mai 1957 ; un massacre évidemment utilisé par la propagande française.
En métropole, malgré l’usure et l’isolement du vieux dirigeant, le travail de quatre décennies a acquis au messalisme l’immense majorité de la communauté immigrée. Pour imposer sa conception de la révolution, le FLN entreprend à partir de 1957 d’assassiner les dirigeants du MNA. Après un temps d’hésitation, marqué par un appel solennel de Messali Hadj (« Ces assassinats et ces crimes se multiplient tous les jours, alors que tous nos compatriotes luttent pour le même objectif », 1er septembre 1957 (5)), ce dernier réplique. Dans cette guerre civile à l’intérieur même de la guerre d’Algérie — parfois attisée par la France coloniale —, l’historien Gilbert Meynier estime le nombre de victimes en métropole à quatre mille (6), réparties en trois groupes à peu près égaux : un tiers de victimes MNA du FLN, un tiers de victimes FLN du MNA, et un tiers d’Algériens qui refusaient de se plier aux injonctions des uns et des autres (7).
Les messalistes furent défaits dès 1957 en Algérie, et à partir de 1959-1960 en métropole. Le combat cessa faute de combattants dans le camp du MNA : le FLN avait établi son hégémonie. En 1959, lorsque le régime gaulliste décide de mettre fin à l’exil de Messali Hadj, c’est un homme abattu qui se réfugie dans une petite maison de la région parisienne, à Chantilly. Il devra probablement sa survie — suprême honte — à la protection discrète dont il bénéficie de la part de l’Etat français, qui mène alors une guerre destructrice contre son peuple.
Quels avaient été, sa vie durant, les deux axes de sa pensée politique ? La conquête de l’indépendance et le maintien de la solidarité entre les trois peuples du Maghreb, dans la lutte, puis dans la liberté recouvrée. En 1962, il peut à bon droit être amer. L’indépendance est certes acquise, mais au prix de sa mise à l’écart. L’Algérie dont il rêvait, adossée à un puissant mouvement ouvrier, forte de l’expérience politique accumulée au sein de l’immigration, des luttes, n’a pas vu le jour. Ce qu’il avait sans doute pressenti, l’accaparement rapide du pouvoir par une caste militaro-bureaucratique, prend corps sous ses yeux, se renforçant même avec le coup d’Etat de Houari Boumediene, le 19 juin 1965. Et l’histoire officielle en cours d’écriture n’exalte que les nouveaux maîtres, niant l’apport fondamental du messalisme au mouvement national.
Messali Hadj avait rêvé l’unité des trois pays du Maghreb ; elle ne se réalisa pas non plus. Devenus indépendants, la Tunisie de Bourguiba, le Maroc de Mohammed Ben Youssef et l’Algérie de Ben Bella allèrent chacun son chemin, et parfois même s’affrontèrent. Messali Hadj s’éteignit le 3 juin 1974, sans avoir revu l’Algérie.


PAR Alain Ruscio
Historien. Auteur de Histoire de la colonisation. Réhabilitations, falsifications et instrumentalisations (ouvrage collectif codirigé avec Sébastien Jahan), Les Indes savantes, Paris, 2008 ; de Dien Bien Phu, mythes et réalités. Les échos d’une bataille, 1954-2004 (en collaboration avec Serge Tignères), Les Indes savantes, Paris, 2005 ; du Credo de l’homme blanc, préface d’Albert Memmi, Complexe, Bruxelles, 2002

9/15/2014

Gravures rupestres de la région de Tiaret

Les gravures rupestres de la région de Tiaret (Algérie) sont des gravures préhistoriques d'âge néolithique du Sud-oranais. Au long de l'Atlas saharien elles font suite à celles, à l'ouest, des régions de Figuig, d'Ain Sefra, d'El-Bayadh et d'Aflou. Des gravures comparables ont été décrites, plus à l'est autour de Djelfa et dans le constantinois.

Localisations et descriptions

Selon un court article de Malika Boutira, attachée de recherches, publié dans le quotidien national “El Moudjahid” vers la fin des années 70, elles “peuvent rivaliser avec les meilleures œuvres classiques du Sud-oranais”. La carte jointe à l'article indique, d'ouest en est, sept stations, toutes situées au nord de la ville de Tiaret : “Aïn Ben Krima”, “Oued Azouana”, “Oued Seffalou”, “Detiar Bel Haâdi”, “Kef Dahmani”, “Kef Bou Beker” et “Kef Smaar”. L'article insiste plus particulièrement sur trois sites.
Khallout Er Rhalem se situe sur la rive droite du “Chabet Tarhoum”. Sur un rocher, connu sous le nom de “Rocher du Sang”, sont gravés presque en grandeur nature deux bubales, fortement altérés.
Oued Seffalou, à 6 km environ à l'ouest de Guertoufa, est un site facilement accessible par la piste carrossable qui d'Aïn Keda mène à la maison forestière de Seffalou, les gravures se trouvant à 1500 mètres. Avant de parvenir au groupe principal figurant, sur un gros bloc isolé, une scène de chasse, de petits abris naturels dans les falaises de grès situées sur la rive droite de l'oued présentent des représentations zoomorphes et anthropomorphes ainsi que quelques dessins libyco-berbères.
Kef Bou Beker, à 4 km au nord de Dahmouni, est une importante station de gravures naturalistes. Plusieurs ensembles s'échelonnent dans les falaises sur une distance d'environ 700 mètres. Le groupe principal est un panneau d'une vingtaine de mètres de longueur sur une hauteur de près de deux mètres. Parmi les représentations qui se superposent et s'enchevêtrent on distingue notamment un bovidé, une antilope, un rhinocéros de 3 mètres de long, des autruches dont le dessin est rehaussé de peinture ocre rouge, un bubale et des personnages humains.
Appartenant à l'ensemble du Sud-oranais, il serait possible d'analyser ces gravures à partir des hypothèses et de la classification développées par Henri Lhote dans "Les gravures rupestres du Sud-oranais" publié en 1970 dans la série des “Mémoires du Centre de recherches anthropologiques préhistoriques et ethnographiques “(CRAPE) dirigée à Alger par Mouloud Mammeri (Arts et métiers graphiques, Paris, 210 pages et reproductions photographiques).

Bibliographie sélective

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : source utilisée pour la rédaction de cet article
  • Bayle des Hermens (R.), Les gravures rupestres de l'oued Seffalou. Région de Tiaret. Départ. d'Oran, dans “Libyca”, t. III, Alger, 1955 (pp. 327-343).
  • Cadenat (P.), Les gravures rupestres des environs de Tiaret (Départ. d'Oran), dans “Actes du Congrès Panafricain de Préhistoire, IIe session, Alger (1952), 1955 (pp. 701-713).
  • Cadenat (P.), L'art rupestre préhistorique du département de Tiaret (Algérie), dans “Bull. Sté Etudes et Recherches Préhist. et Inst. Pratique de Préhistoire”, Les Eyzies, 1964 (18 pages).
  • Vaufrey (Raymond), Préhistoire de l'Afrique, tome II, Au nord et à l'est de la grande forêt, Tunis, Service des Publications et échanges de l'Université de Tunis, 1969 (372 p.), p. 149.
  • Lhote (Henri), Les Gravures rupestres du Sud-oranais, Arts et métiers graphiques, Paris, 1970. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Aumassip (Ginette), Trésors de l'Atlas, Alger, Entreprise nationale du livre, 1986 (126 pages).

Gravures rupestres de la region de Djelfa

Les gravures rupestres de la région de Djelfa (Algérie) sont des gravures préhistoriques d'âge néolithique qui ont été signalées dès 1914. Au long de l'Atlas saharien elles font suite à celles, à l'ouest, du Sud-oranais (régions de Figuig, d'Ain Sefra, d'El-Bayadh, d'Aflou et de Tiaret), auxquelles elles s'apparentent. Des gravures comparables ont été décrites, plus à l'est, dans le Constantinois.

Localisations et descriptions

Certaines gravures de la région de Djelfa semblent avoir été connues dès 1850 (El Idrissia). Parmi les plus célèbres celles de Zaccar sont découvertes en 1907 et Flamand décrit en 1914 la station de Daïet es Stel. Au milieu des années 1960 l'actif Syndicat d'initiatives de Djelfa entreprend de recenser gravures et peintures et le Père F. de Villaret, qui accompagne les visiteurs, fait ainsi connaître les œuvres d'une vingtaine de stations nouvelles, notamment celles d'Oued el Hesbaïa et d'Aïn Naga. Au total plus de 1162 gravures ont été découvertes dans la région.
Henri Lhote évoque ces gravures dans l’ouvrage Les Gravures rupestres du Sud-oranais qu'il publie en 1970 dans la série des « Mémoires du Centre de recherches anthropologiques préhistoriques et ethnographiques » (CRAPE) dirigée à Alger par Mouloud Mammeri (Arts et Métiers graphiques, Paris, 210 pages et reproductions photographiques). Pour lui elles ne peuvent pas « être séparées archéologiquement de celles du Sud-oranais, car elles présentent à quelques variantes près le même style, les mêmes formules de technique, les mêmes patines, la même faune » (p. 194). Il serait donc possible de les analyser à partir des hypothèses et de la classification qu'il développe. Les gravures de la région de Djelfa lui apparaissent ainsi comme « des œuvres émigrées, qui sont un démarquage, de qualité toujours inférieure, de celles du Sud-oranais » (p. 193), région constituant pour l'auteur « le centre principal de l'art rupestre des régions présahariennes ». Certaines appartiennent à l'étage ancien de l'école bubaline de grandes dimensions, comme « l'Apollon des Ouled Naïl », d'autres sont plus récentes ou encore plus décadentes.
Regrettant « la méconnaissance de l'importance des rupestres du Sud Algérois » dans l'ouvrage de Lhote, P. Huard et L. Allard publient en 1976 dans Lybica (CRAPE, Alger) une importante étude sur Les figurations rupestres de la région de Djelfa, Sud Algérois. Les auteurs y recensent en les numérotant quarante-trois stations qui sont à quelques exceptions près situées à l'intérieur ou sur les bords d'un triangle formé au nord par la ville de Djelfa, au sud-ouest par le village de Sidi Makhlouf et au sud-est par la ville de Messaad.

Gravures préhistoriques, Djelfa, carte.jpg

Autour de la route de Djelfa à Laghouat (jusqu'au sud de Sidi Makhlouf) vingt-trois stations se trouvent indiquées : no 28 (Zaccar), 38 (Ishak), 39 (Oued el Youhi), 40 (Guelt el Bidha), 30 (Hadjra Sidi Boubakeur), 31 (Sreissir), 32 (Ben Hallouane), 27 (El Gour), 26 (Ben Hadid), 25 (Kheneg Hilal), 24 (Theniet bou Mediouna II), 23 (Theniet bou Mediouna I), 22 (Theniet el Mzab), 21 (Daïet Geklil), 16 (Oued Mergueb), 20 (Djebel Doum), 19 (Safiet el Baroud), 18 (Morhoma), 33 (Oued Remeila), 34 (Rocher des Pigeons), 41 (Oued Cheguieg), 17 (Oued el Hesbaïa), 42 (Ntsila). Trois stations sont de plus mentionnées à l'est de Djelfa : no 1 (Feidjet Elleben), 2 (Sidi Abdallah ben Ahmed), 3 (Argoub Ezzemla). Trois autres sites se trouvent à l'ouest : n° 37 (Chouchet Esnober), 36 (Koreiker), 35 (El Idrissia).
Autour de la route de Djelfa à Messaad (par Moudjbara) douze stations se succèdent approximativement du nord au sud : no 29 (Saouiet), 4 (Aïn Mouilha), 5 (Daïet es Stel), 6 (Hadjra Mokhotma nord), 7 (Hadjara Mokhotma sud), 10 (Safiet Bou Khenan)), 9 (Station de l'Autruche), 8 (Daïet el Hamra), 11 (Bou Sekkin) , 12 (Aïn Naga), 13(Atef el Ghorab), 14 (Oued Tamdit). À l'est de Messad sont mentionnées deux dernières stations : no 43 (Oued el Bouir) et 15 (Amoura).
Les gravures se situent à proximité d'habitats, révélés par la présence de silex taillés et d'éclats, « échelonnés à divers niveaux ou au pied de falaises de grès rougeâtre dont la patine peut atteindre le noir, qui longent des djebels ou bordent des oueds. » Elles sont « réparties très généralement en petits groupes espacés », les frises monumentales ou les parois très chargées, comme celles d'Oued el Hesbaïa ou d'Aïn Naga, apparaissant « des exceptions » (p. 70).
Reconnaissant que les gravures de la région de Djelfa sont « semblables à celles du Sud-Oranais par les sujets et les techniques », P. Huard et L. Allard jugent cependant qu'« elles ont en propre un riche contenu culturel que révèlent notamment des buffles antiques porteurs d'attributs céphaliques et le fait que presque tous les ovins sont dotés de sphéroïdes classiques ou des cornages fermés en anneau qui en sont une stylisation postérieure » (p. 67). Selon eux « l'admission dans l'étage le plus ancien du Sud-Oranais des béliers à sphéroïde ne peut guère convenir dans le Sud-Algérois, où leurs figurations les plus achevées sont souvent associées à des hommes au vêtement évolué, tandis que d'autres, liés à des bœufs, sont d'époque clairement pastorale » (p. 71). En outre « l'étage “bovidien”, qui viendrait seulement en quatrième position dans le Sud-Oranais, où il présente un caractère “décadent”, est beaucoup plus développé dans le Sud-Algérois ». Relevant que des indices « montrent que dans les deux secteurs, son origine serait nettement plus ancienne », Huard et Allard préfèrent parler « d'un étage pastoral de longue durée avec des moutons et des bœufs » (p. 71).
Hadjra Sidi Boubakeur
Oued el Hesbaïa

« L'étage des chasseurs »

Dans l'étage des chasseurs les auteurs rassemblent les figurations de la grande faune sauvage : buffles antiques (ou bubales), éléphants, rhinocéros, lions, autruches et personnages humains.
Sur les dix-sept buffles recensés dans la région, douze appartiennent au grand art naturaliste et sont semblables à ceux du Sud-Oranais. Ils sont localisés à Oued el Hesbaïa (frise de trois buffles, dont l'un de plus de deux mètres), Aïn Naga (deux buffles en file), la Station de l'Autruche (buffle de 1,50 m surmonté d'un disque évidé), Djebel Doum (buffle de 2,35 m dont la corne gauche supporte un « attribut semi-circulaire allongé »), Safiet el Baroud, Hadjra Mokhotma nord (buffle de 2,63 m dont un homme semble toucher le cornage), Kheneg Hilal (buffle d'1,20 m) et Ben Hallouane.
Grands, moyens ou petits, vingt-deux éléphants semblent appartenir à plusieurs époques. Les plus grands (1 à 2 m), de style naturaliste, se rencontrent à Aïn Naga, Theniet bou Mediouna I, Oued Remeilia, Aïn Mouilha, Oued el Hesbaïa (où le « panneau des éléphants », accumulation de figurations superposées au long des siècles, en présente six), Safiet Bou Khenan, Zaccar, Feidjet Elleben et Bou Sekkin.
Sept rhinocéros, de qualité moindre et souvent de style décadent, sont répartis en cinq stations, à Oued Remeila (le plus ancien), Feidjet Elleben, Bou Sekkin, Aïn Naga, Oued el Hesbaïa.
Neuf représentations d'antilopes bubales (Bubalis alcelaphus boselaphus) sont de style naturaliste. La plus célèbre est celle de Zaccar, dévorée par un lion (1,50 m de longueur). Une scène analogue se rencontre à Daïet el Hamra. À Hadjra Mokhotma nord l'animal est retenu par un piège circulaire. D'autres antilopes ont été gravées à Safiet el Baroud, Theniet el Mzab, Feidjet Elleben. Nombreuses sont par ailleurs les figurations d'antilopidés, souvent de petites dimensions et stylisées, comme celles de Sidi Abdallah ben Ahmed et Safiet bou Khenan, apparentées au style dit de Tazina, répandu dans le Sud-Oranais.
Au nombre de dix-huit les lions représentés peuvent être classés en trois ensembles : « lions naturalistes de profil, trois fois en action de chasse » (Oued el Hesbaïa, Zaccar, Daïet el Hamra, Hadjara Mokhotma nord, Oued Remeilia), « lions d'assez grandes dimensions, à tête de face stylisée et corps de profil », « de style et de facture indigents », « tardifs par rapport aux prototypes du Sud-Oranais » (Djebel Doum, Kheneg Hilal, Hadjra Mokhotma sud), « félins plus petits, au trait léger et généralement tardifs », « de style et facture médiocres » (pp. 81-85).
Les autruches, assez nombreuses, sont, à l'exception des représentations de Safiet bou Khenan, et d'Oued el Hesbaïa « d'une qualité généralement pauvre ». Les sangliers, en groupe de trois, sont au contraire rares, limités aux stations d'El Idrissia (ensemble disparu) et de Sreissir,
Les figurations humaines sont au nombre d'une quarantaine, notamment à Oued el Hesbaïa, El Gour, Theniet bou Mediouna II, Aïn Naga, Daïet es Stel, Oued Remeilia, Safiet bou Khenan, Hadjra Mokhotma sud, Ben Hadid. Les auteurs y appliquent la grille des « vingt-cinq traits matériels ou de valeur psychique de la culture des chasseurs » qu'ils ont dégagée « sur le Nil et dans divers secteurs sahariens » (p. 85). Ils relèvent ainsi des représentations d'hommes sous des peaux de bête, le port de queues postiches et de protections phalliques, de masques, la présence de figurations ithyphalliques et d'hommes touchant des animaux (buffle, antilopes et éléphant à Hadjra Mokhotma nord, Theniet bou Mediouna II et Bou Sekkin). Parmi les armes ils recensent des arcs, des armes longues et courbes, des massues, une hache et un bouclier. Plusieurs pièges sont également figurés ainsi que des mains (une cinquantaine en sont gravées côte à côte à Hadjrat Sidi Boubakeur). Ainsi, « tous les traits culturels des Chasseurs sont attestés dans la région de Djelfa, sauf le lasso et la spirale, qui sont en revanche fortement représentés au Tassili dans le secteur d'Oued Djerat » (p. 93).
Aïn Naga, bélier et figuration humaine (H: 135 cm)
Aïn Naga, gravure dite des amoureux timides

Préliminaires à la domestication

Plusieurs antilopes et bœufs portent des traces d'appropriation humaine, en particulier des colliers. Mais c'est surtout une trentaine de figurations de béliers qui se rattachent à des Pasteurs plutôt qu'à des Chasseurs, s'étalant « sur une longue période allant jusqu'à une phase avancée de la domestication » (p. 97). Huit d'entre eux sont des béliers à sphéroïde, dont cinq associés à des figurations humaines (Aïn Naga, Daïet es Stel, Oued el Hesbaïa, Saouiet). C'est dans cet ensemble que se placent certains des chefs d'œuvres les plus célèbres de la région, tel le bélier d'Aïn Naga, d'environ deux fois la grandeur nature, découvert par le Père F. de Villaret en 1965 et publié par le Syndicat d'initiative de Djelfa. L'animal, qui porte un sphéroïde encadré de plumes, un pendant de joue et un collier à chevrons, est précédé d'un homme qui lui tourne le dos, figuré de trois-quart, les avant-bras relevés et vêtu d'un cache-sexe à boutons ronds, orné de bracelets. Sa coiffure retombe sur la nuque en trois mèches.
D'autres ovins, parfois munis de colliers, présentent des cornages fermés en anneau ou des disques (seules quatre représentations ne présentent qu'un collier ou apparaissent sans attribut). À Hadjra Sidi Boubakeur un groupe composé d'un bélier, d'une brebis et d'un grand bœuf dénote « une domestication bien établie » (p. 106). D'autres béliers sont visibles à Khenneg Hilal, Oued el Hesbaïa, Safiet bou Khenan, Theniet el Mzab, Hadjra Mokhotma et Aïn Naga.
Les gravures rupestres de la région de Djelfa présentent de grands bœufs naturalistes (Zaccar) ou subnaturalistes (Bou Sekkin), les autres étant d'époque pastorale. Leurs cornages sont également fermés en anneau et ils portent parfois des dispositifs en segments de cercle ou tapis qui sont peut-être des moyens de portage (Hadjra Sidi Boubakeur, Teniet el Mzab, Hadjra Mohkotma, Ben Hadid, Bou Sekkin, Safiet bou Khenan et Oued Mergueb).
Des « scènes pastorales », associant souvent hommes et animaux, se rencontrent à Hadjra Sidi Boubakeur, Hadjra Mohkotma sud, Aïn Mouilha (hommes à « bandes molletières »), Morhoma, Daïet es Stel et Zaccar. D'autres figurations humaines significatives, ithyphalliques et femmes ouvertes, se situent à Safiet bou Khenan, Theniet bou Mediouna II et Daïet el Hamra. À Theniet el Mzab se trouve encore la célèbre gravure d'un homme à coiffure trilobée et plastron rectangulaire et à Aïn Naga celle des « amoureux timides », dans laquelle l'homme porte un objet en forme de haricot, bouclier ou carquois surmonté de flèches (comme dans le Sud-Oranais à Khreloua), une coiffure ou un casque avec une touffe jetée en avant et trois mèches tombant sur la nuque (détail que l'on retrouve à Aïn Naga comme dans le Sud-Oranais) tandis que la femme présente une chevelure soigneusement coiffée, maintenue en arrière par une barrette.
On trouve également parmi les gravures de la région de Djelfa des canidés et des équidés d'époques différentes.
Par ailleurs trois sites de peintures rupestres ont été localisés à Djebel Doum, Zaccar sud (plusieurs archers, personnage peut-être féminin et tortues) et Hadjra Mokhotma sud.
En 1968 des éléments d'industrie lithique appartenant au Capsien ont été trouvés en place par D. Grébénart à Aïn Naga et datées de 5500 ± 220 av. J.-C.

Découvertes

Dans son édition du 3 mars 1980 (p. 5), le quotidien algérien « El Moudjahid » annonce la découverte de deux nouveaux sites. Le premier, au lieu-dit « Regoubat Hariz », dans la région de Tramja, à 65 km environ au sud-ouest de Djelfa, présente sur l'une des parois d'un monticule un animal cornu, sur une autre une série de quatre bubales dont deux superposés et une autruche. Le second, au lieu-dit « Dir El Hadj Tayeb », montre une fresque une demi tête de bubale aux énormes cornes, deux béliers à sphéroïde et une antilope.

Sources

  • Huard P. et Allard L., Les Figurations rupestres de la région de Djelfa, Sud Algérois, dans Lybica, Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques, Alger, tome XXIV, 1976 (pp. 67-124) [avec une carte et, en annexe, un « répertoire analytique des stations rupestres de la région de Djelfa » résumant pour chaque station l'essentiel des figures].

Bibliographie

(Publications donnant des figurations rupestres de la région de Djelfa)
  • Flamand, G.B.M., Deux stations nouvelles de pierres écrites découvertes dans le Cercle de Djelfa, dans "L'Anthropologie", XXV, 1914 (pp. 433-458).
  • Flamand, G.B.M., Les Pierres écrites, Paris, Masson, 1921 (pp. 314-318).
  • Vaufrey, R., L'Art rupestre nord-africain, Paris, Masson, 1939.
  • Bellin, P., L'art rupestre des Ouled Naïl, dans "Bull. Sté préhist. franç.", t. LIV, fas. 5-6, mai-juin 1957 (pp. 299-330).
  • Tixier, L., Gravures rupestres de Bou Saâda (Algérie), dans "Bull. Soc. royale belge d'études géol. et archéol.", t. XVII, 1958-1960 (pp. 21-27).
  • Lethielleux J., Vestiges préhistoriques et protohistoriques de la région de Djelfa, dans "Lybica", tome XII, CRAPE, Alger, 1965.
  • Lefebvre G., La station rupestre de Daïet es Stel, dans "Lybica, tome XV, CRAPE, Alger, 1967 (pp. 207-213).
  • Grébénart D., Aïn-Naga. Capsien et Néolithique des environs de Messad (département de Médéa), dans "Lybica", tome XVII, CRAPE, Alger, 1969 (pp. 135-197).
  • Syndicat d'Initiative de Djelfa, Dans les monts Ouled Naïl, dans "El Djezaïr, n° 13, Alger, 1970 (pp. 42-48).
  • Camps, G., Les Civilisations préhistoriques de l'Afrique du Nord et du Sahara, Paris, Douin, 1974.
  • Huard P. et Leclant, Recherches sur la culture des chasseurs anciens du Nil et du Sahara, CRAPE, Alger, 1977 (?).
  • Aumassip, Ginette, Trésors de l'Atlas, Alger, Entreprise nationale du Livre, 1986.
  • François de Villaret, Siècles de steppe, Jalons pour l'histoire de Djelfa, Centre de Documentation Saharienne, Ghardaia (Algérie), 1995.

Réflexions sur l'Ibéromaurusien PAR: Paul BELLIN

En écrivant ces « Réflexions sur l'Ibéromaurusien » je n'ai pas la prétention d'apprendre quelque chose à mes collègues. L'esquisse qui suit répond à un voeu de plusieurs membres métropolitains de notre Société, MM. P. Paya, E. Beaux-, G. Rondreux, M. Sierra, G. Taupenas et J. Laurent, fervents d'études méditerranéennes, qui déplorent le manque total d'ouvrages de synthèse sur la Préhistoire de l'Afrique du Nord et sur chacune de ses grandes cultures. Je ne donne à ces pages, qui risquent d'être maladroites du fait d'une documentation très dispersée, que la signification d'un exemple.
L'Ibéromaurusien est le faciès littoral du Paléolithique supérieur et du Mésolithique Moghrebin. La station la plus classique en est les Beni- Segoual (Afalou-Bou-Rhummel et Tamar-Hat) au-dessus de la route de Bougie à Djidjelli; publiée en 1934, la partie Archéologie préhistorique est due à Arambourg, leur étude constitue le 13e Mémoire des Archives de l'Institut de Paléontologie Humaine. D'une traînée littorale se détachent des pénétrations telliennes; l'Escargotière de l'Oued Tleta à Champlain, au Sud-Est de Médéa, que j'ai fouillée, est l'une d'elles. De ces avancées dans l'hinterland, Columnata, au Sud de Tiaret, a été la mieux étudiée.
L'Ibéromaurusien est une industrie d'armatures lamellaires, rarement géométriques, caractérisée par la prédominance des lamelles à dos abattu, la rareté des lames à encoches, le petit nombre de grattoirs, l'extrême rareté des burins (mais présence de microburins).
Sur les 2.600 pièces provenant de La Mouillah, fouillée par A. Barbin, des séries des Musées d'Alger et d'Oran, dont il faut retirer près de 900 déchets de taille, 1.500 sont des lamelles à dos abattu. A Afalou-bou- Rhummel les lamelles à dos abattu constituent 76 % de l'outillage dans le niveau inférieur III et 80,6 % dans le niveau supérieur I. A Columnata, dans le niveau Oranien inférieur, Cadenat a compté 1.820 lamelles à dos abattu sur un total de 2.079 pièces. Dans le foyer С de la sablière d'El- Kçar, fouillée par Goétz, les lamelles à dos abattu représentent 60 % de l'outillage.
Les lamelles à coches ne représentent que 2 à 5 % de l'outillage des Beni-Segoual. Au confluent des Oueds Kerma, station fouillée par A. Aymé et L. Balout, les lamelles à coches ne sont pas communes. La coche paraît n'être qu'une retouche accidentellement plus concave. A Columnata, 26 lames à coches seulement sur un total de 882 pièces dans le niveau Oranien supérieur et 567 sur 3.892 pièces dans le niveau Néolithique inférieur. « Dans le niveau Oranien supérieur, on observe sur certaines pièces de fines retouches ou des traces d'utilisation allant jusqu'à former une légère concavité, mais non pas une coche, sur le tranchant, tantôt sur la l'ace supérieure, tantôt sur l'inférieure… Dans les niveaux Néolithiques, l'instrument essentiel est une lamelle portant après usage des coches d'autant plus nombreuses et profondes qu'il a davantage servi » (Cadenat). Le foyer M d'El-Kçar, éventré, a livré quelques lames à coches mais l'ensemble paraît se rapporter au Néolithique.

Fig. 1. — Outillage osseux de l'Oued Tleta. Formes spécifiques.
Les grattoirs sont rares aux Beni-Segoual, ils ne constituent que 6 à 8 % de l'outillage à Tamar-Hat et seulement 2 à 3 % à Afalou-bou- Rhummel. Ils sont très différents de ceux du Capsien supérieur. Ils sont généralement sur petits éclats, fréquemment doubles sur éclats ovalaires. A Columnata, dans les niveaux Oranien(s), presque tous les grattoirs sont ronds, parfois nucléiformes. Dans le niveau Oranien supérieur, sur lame on en dénombre seulement 9 dont 4 sur lame de belle venue et 5 sur lame courte.
A Afalou-bou-Rhummel et à Tamar-Hat aucun burin, aucun microburin.

11 y a peut-être un burin à Ouchtata et peut-être un à Aïn-Roumane. Ruhi.mann décrit l'unique exemplaire de la couche В « Néolithique de tradition ibéromaurusienne » de Dar-es-Soltan (Maroc). C'est un burin d'angle taillé dans un éclat cortical massif. Après ablation préalable de trois enlèvements corticaux, la facette latérale est obtenue par éclatement dans le sens longitudinal de trois esquilles lamellaires.
Gobert et Vaufrey dénombrent 8 microburins, burins tardenoisiens du type de « la mèche » de Vignard, à Ouchtata et 2 à Aïn-Roumane. Dans une petite boîte de déchets provenant de La Mouillah que lui a remise A. Barbin, Vignard compte 30 microburins alors qu'il y en a seulement
12 sur les 2.200 pièces conservées dans les collections du Bardo. L'explication en est simple. Les pièces que l'on ne connaissait pas, géométriques et microburins, se trouvent dans les déchets et non dans les séries retenues.
Les microlithes géométriques font-ils partie du fonds culturel de la civilisation ibéromaurusienne? Il y a 41 segments de cercle à l'Oued Tleta mais les segments de cercle sont des formes particulièrement réussies de la lamelle à dos abattu et non des géométriques. Il y a 15 triangles à l'Oued Tleta; à Columnata, le scalène fait son apparition dans le niveau Oranien supérieur, les triangles deviennent nombreux dans le niveau Néolithique inférieur; Jean Morel en signale un seul exemplaire en silex gréseux dans l'industrie du Kef-oum-Touiza. 8 trapèzes de forme très évoluée à Ouchtata, 3 à Aïn-Roumane et 3 à l'Oued Tleta; à Columnata les trapèzes deviennent nombreux dans le niveau Néolithique inférieur, certains sont échancrés et tendent à la pointe de flèche à tranchant transversal.
Tel est l'aspect général de l'industrie lithique de cette culture ibéromaurusienne des stations classiques. La conclusion qu'impose l'inventaire des formes est que le terme d'Ibéromaurusien est peu heureux. Vaufrey cite l'inventaire par L. Siret du gisement de Zajara II, Sud-Est de l'Espagne, où il y a 25 burins et 20 grattoirs sur bout de lame pour seulement 5 lames à dos abattu. L'Ibéromaurusien et les outillages Paléolithique supérieur de l'Espagne sud-orientale accusent des différences essentielles.
Le terme d'Oranien, proposé par l'abbé Breuil, et qui n'a pas eu un grand succès, sauf auprès des Préhistoriens d'Oranie, est également peu heureux pour trois raisons : ce n'est pas un nom de lieu; l'Ibéro- maurusien n'est pas une industrie propre à l'Oranie, pas plus qu'elle n'y a son origine. La Mouillah doit être station éponyme mais il faut attendre pour adopter le terme de Mouîllien la décision d'un congrès scientifique qui sera peut-être l'un des Congrès Panafricains.
Le très petit nombre de grattoirs de facture médiocre, que j'ai observé à l'Escargotière de l'Oued Tleta, est l'une des caractéristiques les plus constantes de l'Ibéromaurusien. Cela est infirmé cependant par certaines stations oranaises où les grattoirs sont en nombre considérable et d'une facture anormalement réussie, Bou-Aïchem (banlieue Est d'Oran) et Kef-el-Kerem (près de Trézel, au Sud de Tiaret). Les grattoirs ronds sont relativement nombreux à Columnata. Kef-el-Kerem et Columnata sont des pénétrations extrêmes de l'Ibéromaurusien. Ici, cette culture n'est pas coupée de ses sources méridionales (?) et de ce fait elle est moins pauvre. L'Ibéromaurusien en Algérie occidentale pourrait plonger ses racines dans cette culture peu connue, dont on sait seulement qu'elle est caractérisée par une extrême abondance de grattoirs, des stations du Chott-ech-Cherrjui. La découverte que je viens de faire de la station des Salines du Zahrez Rharbi où les grattoirs ronds et les grattoirs sur lame courte prolifèrent, étendrait cette constatation aux Hautes Plaines de l'Algérie centrale. Ainsi c'est précisément en Oranie que se rencontre un « Ibéromaurusien à grattoirs », sensiblement différent par là-même de lTbéromaurusien classique, caractérisé par la nette prédominance des lamelles à dos abattu. Il faut y voir une raison majeure de refuser le terme Oranien.
L'absence de burins est ce qui différencie le plus l'Ibéromaurusien des outillages Paléolithique supérieur de l'Espagne sud-orientale. Telouet, gisement du Haut-Atlas Marocain signalé par Pallary et publié à un très petit nombre d'exemplaires par Antoine fait exception. Les burins

SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE
y sont au nombre de 77 pour 61 lamelles à dos abattu. Télouet mérite-t-il le nom d'Ibéromaurusien au vrai sens du terme?
Selon Vaufrey, les microburins, déchets résultant de la taille des géométriques, seraient le lien entre les industries Ibéromaurusienne et Capsienne. Balout a observé que les microburins manquent totalement au confluent des Oueds Kerma. J'ai fait la même observation à propos de l'Escargotière de l'Oued Tleta (collection Castellani et récoltes personnelles). La théorie de Vaufrey se trouve infirmée. «La présence à l'état de rareté des microburins comme aussi celle des armatures géométriques dans l'Ibéromaurusien ne peut être qu'un fait d'influence capsienne» (Balout).
Un essai d'une classification des stations dites « ibéromaurusiennes •», basée sur les proportions relatives des lames, lamelles et objets dérivés et des éclats et formes dérivées de l'éclat qui sont autant de survivances d'un outillage grossier, généralement en quartzite ou en grès numidien, de débitage levalloiso-atérien, a été fait par J. Morel à propos de l'inventaire de l'industrie du Kef-oum-Touiza. La station de Demnet-el- Hassan représenterait un « Ibéromaurusien archaïsant à dominante levalloiso-atérienne » que j'appellerai Ibéromaurusien I. La station du Kef-oum-Touiza représenterait un Ibéromaurusien moyen où les deux outillages coexistent, que j'appelerai Ibéromaurusien II.
Dans l'Ibéromaurusien III, évolué et exclusivement microlithique, à un fonds industriel identique s'ajoutent des géométriques. Ce sont les stations classiques du type de La Mouillah, encore que dans la couche inférieure jaune A. Barbin ait récolté un Ibéromaurusien pauvre et une industrie de facture moustérienne.
Architecture sans charpente où la morphologie supplée mal au défaut de stratigraphie. M. Jean Morel le regrette, que je cite :
« Bien qu'il y ait lieu de croire à un abandon progressif des formes levalloiso-atériennes au profit des microlithes, ces trois types de stations peuvent être synchrones et en l'absence de toute stratigraphie, la seule morphologie ne constitue pas un repère chronologique sûr. »
Si la reprise des fouilles aux Beni-Segoual, où l'outillage en quartzite risque fort d'avoir été négligé, permettrait peut-être de mieux suivre l'évolution de l'ibéromaurusien, c'est Columnata où M. Cadenat a tenté un unique essai d'une stratigraphie interne de cette industrie qui doit être considéré comme le gisement référence.
L'intérêt de la station réside dans le fait que les niveaux Ibéromaurusien (s) et Néolithique (s) s'y rencontrent en superposition directe, ils sont en un point séparés par une couche stérile.
Il faut faire quelques réserves. La stratigraphie n'est pas nette entre les deux niveaux que M. Cadenat désigne par Oranien (= Ibéromaurusien = Mouillien). Je cite: «Ce n'est qu'insensiblement que se manifestent les différences pourtant sensibles quand on compare des séries de matériaux provenant de points distants de plusieurs mètres. C'est l'apparition du scalène, forme géométrique, et la facture de l'os poli, qui justifient la distinction d'un niveau supérieur. Je le désignerai par Ibéromaurusien III.
Je désignerai par Ibéromaurusien IV l'étage Néolithique inférieur de M. Cadenat à Columnata, l'absence de poterie n'autorise pas ici l'appellation Néolithique, où les microlithes, principalement les triangles et les trapèzes, deviennent nombreux et la gravure sur os presque fréquente. Si, dans le cas particulier de l'Ibéromaurusien et du « Néolithique de tradition ibéromaurusienne » je considère que l'absence de poterie n'autorise pas l'appellation Néolithique, je précise que je n'ai jamais pris la poterie, pas plus que la pierre polie, comme fossile directeur du Néolithique car il est non seulement des niveaux mais encore des cultures néolithiques sans poterie ou sans pierre polie : Culture des Sables ou pseudo-tardenoisienne et Culture des Plateaux ou pseudo- campignienne du Languedoc Méditerranéen. Dans l'Ibéromaurusien IV de Columnata, on sent l'influence capsienne à la présence de lamelles à coches, de trapèzes échancrés tendant à la pointe de flèche à tranchant transversal et de 7 microburins. M. Cadenat a très bien vu la ressemblance de cet étage avec le niveau Intergetulonéolithique (on dirait aujourd'hui Intercapsonéolithique), du Dr Gobert à Redeyef.
L'industrie de l'os aux Beni-Segoual, station très classique, se réduit à.

peu de chose. A tel point que C. Arambourg a fait de la rareté de l'os poli l'une des caractéristiques de l'Ibéromaurusien. Cela est infirmé par le niveau Oranien supérieur (— Ibéromaurusien 111) de Columnata où cet élément culturel prend un grand développement. A l'Oued Tleta (Castellani-Bellin), je note la conservation, exceptionnelle dans le cas d'un gisement de plein air, de l'outillage osseux. L'outillage osseux est abondant à Champlain (= Oued Tleta) et de bonne facture et nombre d'objets, principalement les poinçons de section ovalaire et les aiguilles, s'identifient à ceux des niveaux Ibéromaurusien évolué de Columnata.
D'exécution aussi soignée, l'outillage en os de l'Oued Tleta présente avec celui des niveaux II et III de Columnata de nettes différences morphologiques et certaines formes sont spécifiques.


Les poinçons, comme aux Beni-Segoual et à Columnata, sont à l'Oued Tleta les pièces les plus communes mais la gouttière est une forme propre
II n'y a pas à l'Oued Tleta d'« épingles à tête », pièces à sommet pointu et à renflement basiliaire, qui forment dans l'industrie osseuse du niveau III de Columnata un groupe intéressant; plusieurs sont ornées de traits ou incisions. Il convient d'insister sur la présence d'une forme tout à fait spécifique et à ma connaissance jamais décrite. Il s'agit de quatre fortes lames, larges et plates, terminées d'un côté par une troncature oblique dégageant une pointe latérale plus ou moins marquée; pour trois d'entre elles la base manque. J'ai voulu d'abord les rapprocher des « tranchets » de Columnata, « lames larges, plates, peu épaisses, le plus souvent assez longues, terminées par un tranchant oblique biseauté, l'autre extrémité étant arrondie ». Mais la concavité de la troncature, répétée trois fois sur quatre, permet de dégager la pointe latérale qui est spécifique, et la seule pièce complète de l'Oued Tleta montre que l'extrémité opposée au biseau, loin d'être arrondie, forme poinçon, ce qui laisse supposer une utilisation multiple de l'outil.
.l'émettrai cependant l'hypothèse d'une communauté d'utilisation. Les outils ibéromaurusiens de l'Oued Tleta et de Columnata, à troncature oblique biseautée, et pointe latérale à l'Oued Tleta, ont pu également convenir au dépeçage des peaux. Mais si, par leur forme, les pièces de Columnata évoquent de très près les actuels « tranchets » de cordonnier, celles de l'Oued Tleta rappellent plutôt nos modernes « ouvre-lettres ». L'appellation est de M. Cabot-Briggs; elle est heureuse et ne risque pas de provoquer une fausse interprétation. A l'Oued Tleta comme à Columnata l'industrie de l'os a atteint un développement qui n'est pas commun dans l'Ibéromaurusien. La facture est également soignée mais les pièces diffèrent. Chaque station a développé une civilisation propre et produit des formes vraiment spécifiques.

Bulletin de la Société préhistorique française Année 1954 Volume 51 Numéro 9 pp. 429-433

9/11/2014

Le métier de la dinanderie Algérie, la petite histoire d’un grand Art




Depuis la découverte du métal, ce précieux matériau, l’homme n’a cessé de façonner et de créer d’innombrables formes, de ciseler, inciser, incruster divers motifs ornementaux.

Lors des fouilles archéologiques sur les sites de l’époque antique algérienne, des objets en différents alliages ont été retrouvés, et sont actuellement conservés dans les musées nationaux.

Certains écrivains (TH Shaw, V. De paradis), ont évoqué la prospérité de l’artisanat algérien au moyen-âge, et plus particulièrement de la dinanderie, qui formait alors une des productions des arts des métaux.

Il convient de préciser que le terme dinandier est récent, et qu’il qualifie le travail du cuivre, du laiton, du maillechort, et du bronze. Avant l’emploi de ce mot, on parlait de ferronnier, de forgeron, ou encore de chaudronnier, pour désigner celui qui travaillait les métaux (en général).

Entre le XVe et le XVIII e siècles, l’Algérie a accueilli de nombreux artisans de différentes origines, Maures d’Espagne, juifs d’Italie (notamment de Livourne), et Ottomans. Ce métissage eut un impact bénéfique sur l’évolution des métiers, dont le résultat né de l’osmose entre tous ces peuples, s’est avéré remarquable. La dinanderie en est le reflet.

Du XVIe au XIX e siècle, l’Algérie a connu une forte activité artisanale, générant des revenus appréciables dus au fait que nombre d’articles étaient destinés à satisfaire des besoins somptuaires.

Le métier de dinandier a connu une expansion considérable. L’artisan transformait ses feuilles de cuivre en divers ouvrages aussi bien utilitaires, que décoratifs. Ainsi en est-il des théières, sucriers, sceaux, pot, encensoirs, couscoussier, lanternes…

Les musées d’Algérie conservent les vestiges de cette richesse, témoignant d’un aspect important du patrimoine national.

Techniques de réalisation et influences

L’ornementation de ces pièces recourt à plusieurs techniques, parmi lesquelles le ciselage et l’incision à plat ou au repoussé, sont les plus répandues, avec le décor d’appliques.

A Tlemcen, les objets présentent un décor d’influence hispano-mauresque, qui se caractérise par un enchevêtrement d’arabesques créant des rinceaux sans fin, agrémentés de motifs floraux et géométriques. La mosquée de Sidi Boumediene à Tlemecen (XIV e siècle) est ornée de lanternes, qui attestent de l’habilité dans la composition et la finesse dans l’exécution.

A Constantine, et Alger, on perçoit davantage les apports de l’Orient. le cyprès appelé arbre de vie en raison de son verdoiement permanent, l’œillet fleur très appréciée des Turcs, ou encore la tulipe symbolisant le mystiques constituent des motifs récurrents sur les objets façonnés dans ces deux villes.

Prospérité et pérennité de la dinanderie

Le métier de dinandier a prospéré dans les grandes cités comme Bougie, Tlemcen, Constantine, Alger, Laghouat, Ghardaïa, et au début du XX e siècle encore, de grands maîtres dinandiers exerceraient en Algérie, donnant le meilleur d’eux-même pour l’enrichissement du patrimoine et surtout la transmission de leur savoir-faire. Maître Zolo, appartenant à une famille de dinandiers algérois depuis plusieurs générations, maître Bendaikha qui exerce dans la Casbah d’Alger, maître Benkhalafat à Tlemcen… ont transmis leur savoir soit à un enfant ou simplement à un apprenti qui perpétuent cet art.

Cette énumération n’est pas exhaustive, des recherches permettront de faire surgir de l’anonymat ou de l’oubli d’autres éminents artisans.

Ainsi, il apparaît clairement à travers l’art du cuivre que l’Algérie a été une terre d’asile, et de rencontre et parfois simplement de passage pour de nombreuses influences artistiques et culturelles. Cet art utilitaire et décoratif, peut servir de » testament aux générations futures, ces pages ciselées, exprimant la finesse d’une culture ».



Mira B.G
Sources :

1.L’Algérie en héritage, art et histoire (IMA)
2.M. Chebel, le dictionnaire amoureux de l’Algérie